Les pics de production ne doivent pas forcément être évités si l’électricité peut être utilisée ailleurs. La production d’hydrogène par électrolyse peut augmenter artificiellement la demande en électricité lors de pics de production. Cela soulage le réseau et permet en même temps une utilisation réduite des combustibles fossiles dans d’autres secteurs.
Texte: Matthias Schiemann
Les énergies renouvelables présentent sans aucun doute de nombreux avantages et constituent incontestablement l’avenir de l’approvisionnement énergétique. Toutefois, en tant que futur pilier de l’approvisionnement en électricité de la Suisse, elles représentent également un défi pour le réseau électrique suisse. Contrairement aux énergies fossiles et nucléaires, leur production est variable et saisonnière. L’énergie solaire est disponible quand le soleil brille, l’énergie éolienne quand le vent souffle ; cela les rend plus difficiles à réguler.
Défis pour le réseau électrique suisse
Le réseau électrique suisse est structuré avec différents niveaux de tensions. Cela est nécessaire pour transporter l’électricité sur de longues distances avec le moins de pertes possible et, parallèlement, pour garantir l’approvisionnement de toute la Suisse. Afin de maintenir cette tension, une charge constante – c’est-à-dire une quantité d’électricité constante – doit être maintenue dans le réseau. Toutefois, comme l’électricité ne peut pas être stockée dans le réseau, il doit y avoir un équilibre entre l’électricité injectée dans le réseau et l’électricité consommée. Si l’on injecte trop d’électricité, la tension augmente ; si l’on en injecte trop peu, elle s’effondre. Dans les deux cas, des dommages et des pannes peuvent survenir. La difficulté est donc d’aligner la production sur la consommation. Selon la Stratégie énergétique 2050, les nouvelles énergies renouvelables doivent devenir un pilier de l’approvisionnement en électricité. Cela pose deux défis pour le réseau : le problème principal en matière d’approvisionnement est celui de la capacité de combler les lacunes des mois de faible production, mais l’inverse peut également devenir un problème. Les pics de production peuvent surcharger le réseau. Pour éviter cela, la quantité d’électricité injectée dans le réseau doit être réduite lorsque la production est élevée, ou la consommation d’électricité doit être augmentée artificiellement. Une option consiste à fermer simplement les centrales électriques concernées ou à limiter leur production. Mais c’est regrettable de perdre de l’énergie disponible et de telles mesures ont un coût. Une autre option consiste à stocker l’électricité ou à l’utiliser d’une autre manière. L’électricité peut être stockée dans des batteries. Elle peut également être convertie en une autre source d’énergie pour être stocker à nouveau ou être utilisée dans un autre secteur énergétique. Par exemple, la conversion en hydrogène, un gaz qui est loin d’être un simple battage médiatique, comme le relève notamment Stefan Oberholzer, responsable des programmes de recherche sur l’hydrogène et les piles à combustible à l’Office fédéral de l’énergie (OFEN).
«Power-to-Gas»
L’électrolyse est un processus par lequel l’eau est divisée en hydrogène et en oxygène à l’aide d’électricité. L’énergie de l’électricité utilisée est ensuite stockée sous forme d’hydrogène, avec des pertes d’environ 25-30% (cette perte d’énergie se fait sous forme de chaleur qui, si elle est couplée intelligemment, peut également être utilisée). A partir de l’électricité (power) du gaz est ainsi produit. Ainsi, lorsque les énergies renouvelables dépasseraient la demande réelle, de l’hydrogène pourrait être produit à l’aide du surplus de production. L’énergie nécessaire à cette fin augmenterait donc dans une certaine mesure artificiellement la demande d’électricité et rétablirait l’équilibre du réseau. Cela permettrait de soulager la charge du réseau sans perdre l’énergie disponible. « La production planifiée d’hydrogène prendrait ainsi le relais d’un service de contrôle », explique M. Oberholzer. Contrairement à l’électricité, l’hydrogène pourrait alors être stocké plus facilement et à long terme, ou pourrait être utilisé dans d’autres secteurs où les combustibles fossiles sont utilisés aujourd’hui.
Plusieurs utilisations possibles
Un tel processus permettrait de réduire l’utilisation des combustibles fossiles. Stefan Oberholzer voit surtout des applications dans l’industrie et la mobilité. L’hydrogène utilisé aujourd’hui en Suisse est presque exclusivement utilisé comme substance chimique dans l’industrie et provient presque exclusivement de sources fossiles, c’est l’hydrogène dit « bleu ». Il pourrait être remplacé par de l’hydrogène « vert », issu d’une électrolyse renouvelable. Une autre application du gaz serait comme carburant dans la mobilité. Les piles à combustible ont même un meilleur rendement que les moteurs à combustion classiques. « Pour les petits véhicules à autonomie limitée, l’hydrogène n’est pas vraiment justifié car la mobilité électrique basée sur les batteries est plus efficace. Cependant, l’électromobilité sur batterie ne fonctionne pas pour le trafic poids lourd pour des raisons de poids », explique M. Oberholzer. Les grandes flottes de diesel pourraient ainsi certainement être remplacées. En outre, l’hydrogène pourrait en principe être utilisé en stationnaire pour produire à nouveau de l’électricité et de la chaleur via une pile à combustible. Par exemple, en hiver, lorsque la production d’énergie solaire est moindre. « Dans ce cas, l’électricité produite à partir de l’hydrogène n’aurait probablement une chance que si la capacité de production d’électricité en hiver était nettement plus faible et si la production à partir de sources fossiles devenait trop chère », affirme toutefois M. Oberholzer en estimant que cette possibilité n’est actuellement pas très réaliste.
Décharger le réseau pour des questions de coûts
En outre, le fonctionnement d’un électrolyseur ne devient rentable économiquement qu’après un certain nombre d’heures de fonctionnement. Il nécessite donc un excédent d’électricité suffisant. Les installations photovoltaïques privées ne sont donc pas adaptées à cette situation. Même si l’immeuble du projet Brütten/ZH prouve qu’il est techniquement possible de produire et d’utiliser de l’hydrogène dans un système énergétique domestique, cela n’est pas rentable pour un système privé décentralisé. En effet, en plus d’une installation photovoltaïque, il faut disposer aussi d’un l’électrolyseur, d’un réservoir de stockage d’hydrogène et des piles à combustible pour la conversion de l’électricité. Stefan Oberholzer voit donc moins le potentiel de l’hydrogène au niveau des réseaux de distribution où des petites centrales électriques injectent de l’électricité. La production d’hydrogène est plus rentable pour les systèmes centralisés. Afin de réduire davantage les coûts de production, il est logique de relier directement la production à une grande centrale électrique, voire à un réseau de centrales, afin d’éviter les coûts de réseau, explique M. Oberholzer. « Selon le montant des coûts de réseau, les coûts de l’hydrogène peuvent être jusqu’à deux fois plus élevés si l’électricité est tirée du réseau ». Ces grandes installations de production centralisées pourraient soulager le réseau hautes et moyennes tensions, ce qui finalement servirait la stabilité globale du réseau. Aujourd’hui, notre électricité domestique est généralement transformée aux tensions souhaitées via les différents niveaux du réseau. Si les petites centrales décentralisées produisaient suffisamment d’électricité pour couvrir la consommation au niveau du réseau de distribution, cette étape serait superflue. Les centrales électriques connectées au réseau hautes tensions pourraient alors utiliser l’électricité qu’elles produisent pour produire de l’hydrogène au lieu de la transformer en énergie basse tension.
Dans un avenir proche
À l’heure actuelle, la feuille de route énergétique n’est pas nécessairement axée sur l’hydrogène. Certaines infrastructures de stockage, de transport et de mobilité font encore défaut. Il manque de grandes capacités de stockage. Bien qu’il existe un réseau de transport, qui peut servir de tampon dans une certaine mesure, et diverses installations de stockage en tubes et sphériques, comme installations de stockage journalières, ainsi qu’un accès à du stockage « en caverne » en France, il faudrait encore investir pour le stockage saisonnier. Au niveau du transport, le réseau de gaz existant ne peut malheureusement être utilisé que de manière limitée. En effet, aujourd’hui, un maximum de 2% d’hydrogène peut être injecté dans les gazoducs. « Il est tout à fait concevable d’augmenter la proportion à 10-20% ; mais en tant que mélange gazeux, l’hydrogène perd de son attrait pour être utilisé avec une grande efficacité, par exemple dans la mobilité », explique M. Oberholzer. Dans le secteur de la mobilité, en revanche, les choses bougent. Un projet de différents acteurs suisses va lancer le développement d’un parc de camions à piles à combustible et d’un réseau de stations-service et de transport d’hydrogène. Mais en fin de compte, ce qu’il faut surtout, ce sont des électrolyseurs suffisamment puissants et une énergie renouvelable disponible pour les alimenter.
Pour conclure, l’hydrogène vert permet de coupler différents secteurs énergétiques et ainsi de se détourner des combustibles fossiles. Comme c’est souvent le cas, la rentabilité économique est le principal obstacle. Mais l’expansion en cours des énergies renouvelables de moins en moins coûteuses devrait renforcer la position du gaz. En définitif, plus l’électricité renouvelable est bon marché, plus l’hydrogène vert peut concurrencer les combustibles fossiles sur le marché.