SUISSE EOLE, L’ASSOCIATION POUR LA PROMOTION DE L’ÉNERGIE ÉOLIENNE EN SUISSE, A ÉTÉ FONDÉE EN 1998 ET COMPTE ACTUELLEMENT ENVIRON 300 MEMBRES. L’ASSOCIATION S’ENGAGE POUR LE DÉVELOPPEMENT DE L’ÉNERGIE ÉOLIENNE EN SUISSE, QUI SUIT PARFOIS UN CHEMIN SEMÉ D’EMBÛCHES, COMME L’EXPLIQUE RETO RIGASSI, ANCIEN DIRECTEUR DE SUISSE EOLE ET MAINTENANT RESPONSABLE DE LA SUISSE ALÉMANIQUE CHEZ SUISSE EOLE, DANS UNE INTERVIEW VIA SKYPE. NÉANMOINS, M. RIGASSI EST CONVAINCU
QUE L’EXPANSION DE L’ÉNERGIE ÉOLIENNE VA S’ACCÉLÉRER.
Beat Kohler
L’énergie éolienne semble avoir la vie dure en Suisse d’après la presse. Cette impression est-elle trompeuse ou l’énergie éolienne a-t-elle vraiment de la peine à s’imposer en Suisse ?
Reto Rigassi: Quand on voit le peu d’installations réalisées jusqu’à présent, cette impression est correcte. C’est particulièrement vrai si l’on compare le nombre d’installations existantes avec les nombreux projets qui ont été déposés ces dernières années mais qui n’ont pas encore été réalisés. Avec actuellement 42 éoliennes achevées, nous sommes aussi clairement à la traîne en comparaison internationale. D’un autre côté, l’impression est trompeuse et de mauvaises conclusions pourraient être tirées. Le grand nombre de projets encore en cours est souvent sous-estimé. A notre avis, beaucoup sont sur la bonne voie. Malheureusement, la majorité de ces projets sont confrontés à des retards importants, qui sont généralement dus à des oppositions et à des procédures juridiques.
Ces projets pourront-ils être réalisés un jour ?
Nous sommes très optimistes et pensons qu’un grand nombre de ces projets seront effectivement construits ces prochaines années.
Pour quels motifs les opposants s’opposent-ils généralement
aux éoliennes ?
Nombreux sont ceux qui sont fondamentalement opposés à l’utili- sation de l’énergie éolienne. C’est en partie parce qu’ils sont fonda- mentalement opposés à la nouvelle stratégie énergétique et à la transition énergétique. Ces personnes ne voient donc pas l’intérêt de l’énergie éolienne et cherchent toutes sortes de raisons pour empêcher la construction de telles installations. Au final, des dizaines de motifs d’objection différents sont invoqués. Les opposants aux éoliennes sélectionnent ceux qui pourraient être juridiquement valables et les mettent en avant. Si vous lisez les différents arguments, vous voyez très clairement en filigrane les doutes relatifs à la stratégie énergétique. Ils affirment que l’énergie éolienne ne fournirait de l’électricité que de manière occasionnelle, à des moments où elle ne serait pas nécessaire et qu’elle n’apporterait rien à l’approvisionne- ment énergétique. Ces arguments pourraient aussi être utilisés contre le photovoltaïque ou d’autres sources d’énergie. Bien sûr, il y a toujours des réserves comme les émissions sonores ou la protection des oiseaux. Ce dernier point est souvent utilisé parce que les opposants estiment qu’ils ont de grandes chances de succès sur le plan juridique.
La protection des oiseaux en rapport avec l’énergie éolienne est également très présente dans les médias. Considérez-vous dans ce cas qu’il s’agit d’un argument prétexte et émotionnel ?
Il faut dire que cet argument est très souvent mis en avant. Pour les particuliers et les indépendants, la protection des oiseaux n’est souvent pas la motivation réelle d’une opposition, mais elle est néanmoins prétextée. Toutefois, la transition énergétique et, avec elle, l’énergie éolienne sont les mesures les plus efficaces contre le changement climatique, qui représente la plus grande menace pour la biodiversité et donc aussi pour la vie des oiseaux.
Quelle est l’importance réelle de la question de la protection des oiseaux en lien avec les éoliennes ?
Il est essentiel de s’assurer que les éoliennes ne causent pas de dom- mages importants au niveau local. Cependant, nous pensons que ce point est surestimé dans de nombreux projets éoliens. Les incertitudes à cet égard sont très grandes et l’expérience est limitée. Par conséquent, les craintes sont souvent très éloignées de ce qui est observé concrètement en termes de risque pour les oiseaux.
Comment pouvez-vous contribuer à réduire ces incertitudes liées à l’énergie éolienne et ainsi accélérer les processus ?
Nous avons besoin d’une plus grande expérience avec des projets réalisés. Pour ce faire, il faudrait nous permettre de construire davantage d’éoliennes. L’une des conditions requises pour les nouvelles installations est d’étudier l’impact sur les oiseaux. Il faut réaliser une étude d’impact comme celle qui a été menée a posteriori au parc éolien de Peuchapatte. Il a été très clairement démontré que dans un parc éolien typique du Jura, qui possède le plus grand potentiel éolien de Suisse, les oiseaux victimes d’impacts sont très rares. Il a également été démontré que les animaux concernés n’étaient pas des espèces rares ou menacées. Ces résultats ont donc été très en faveur de l’énergie éolienne.
Les oppositions prolongent les procédures. Comment se pré- sentent les conditions-cadres de l’énergie éolienne en Suisse ?
Elles sont extrêmement exigeantes. D’une part, en raison du fédéralisme : non seulement la stratégie énergétique de la Confédération entre en jeu avec son cadre financier, mais aussi les cantons, qui choisissent les sites à planifier, et enfin les communes, qui per- mettent ou non les projets spécifiques dans leur région dans le cadre des plans de zone. Si les trois niveaux n’interagissent pas et ne parviennent pas à la même conclusion pour un même site, il devient alors presque impossible de réaliser un projet. Si le canton délimite des zones, mais que les communes d’implantation s’y opposent, ces sites ne peuvent pas être utilisés. Bien entendu, cela s’applique également dans le cas inverse. Les différents niveaux décisionnels doivent également se mettre d’accord sur toutes les questions de détail, telles que les différents points des procédures d’autorisation. Toutes les parties doivent peser leurs intérêts et parvenir à la même conclusion. La situation est d’autant plus complexe qu’à l’heure actuelle, nous avons encore un système de tarifs de rachat, qui fonctionne bien, mais qui prendra fin. Dans le cas de l’énergie éolienne, on ne sait pas encore très bien ce qui se passera ensuite.
Mais voyez-vous aussi des évolutions positives dans les communes et les cantons, comme récemment dans le canton de Fribourg, qui veut aller de l’avant avec l’énergie éolienne ?
Nous constatons que les cantons ont reconnu le potentiel de l’énergie éolienne. Le plus récent est celui de Fribourg, et celui de Vaud est un pionnier. Dans ce canton, 20 à 30% de la consommation cantonale d’électricité pourrait être couverte par l’énergie éolienne, car le potentiel du Jura est très important. C’est pourquoi l’énergie éolienne s’est vu accorder un poids correspondant dans la planification cantonale. La situation est maintenant similaire à Fribourg.
Vous avez également mentionné les procédures judiciaires en cours. Quelle est votre position quant à ces procédures ?
Pour certains projets où les opposants sont passés par toutes les instances jusqu’au Tribunal fédéral, nous espérons avoir prochainement deux ou trois précédents jurisprudentiels. On espère que cela accélérera le processus pour les futurs litiges. Jusqu’à présent, nous avons attendu jusqu’à sept ans pour obtenir une décision positive en dernière instance.
Il y a déjà eu des décisions du Tribunal fédéral. Qu’y a-t-il de nouveau dans les décisions que vous attendez ?
Ce seront les premiers cas pour lesquels l’intérêt national de la production est mis en avant et pris en compte dans les procédures, conformément à la Stratégie énergétique 2050. Il s’agit également d’une nouvelle génération de projets. Les derniers jugements ont été rendus il y a quelques années et concernaient des projets qui ont été développés il y a plus de 15 ans. A l’époque, les clarifications à apporter et les exigences des cantons n’étaient pas évidentes. Il n’y avait pas de lignes directrices claires. Les tribunaux ont souvent exigé des clarifications supplémentaires. Ce n’est plus le cas pour les nouveaux projets. Aujourd’hui, il y a beaucoup d’exigences – à notre avis parfois inutiles. Mais l’avantage est que les projets passeront plus rapidement devant les tribunaux car tout ce qui est possible et impossible a été clarifié et pris en compte. Je suis optimiste et je pense que les nouveaux jugements trancheront en faveur de l’énergie éolienne. Nous n’avons pas eu de décisions du Tribunal fédéral qui remettent fondamentalement en cause les projets. Il s’agissait toujours d’obtenir des précisions ou une meilleure documentation. Des adaptations du projet en tant que tel, par exemple un nombre réduit de turbines, n’ont jamais été demandées.
Avec la perspective de la fin prochaine de la rétribution de l’injection, y aura-t-il encore de nouveaux projets ? Quelles sont vos exigences envers les politiciens dans ce domaine ?
Les projets pour lesquels la rétribution de l’injection a déjà été pré- vue bénéficient d’une prolongation des délais s’ils sont bloqués devant les tribunaux. Il est impératif que cela reste ainsi, ce qui est le cas actuellement. Le successeur de la rétribution de l’injection, qui permettrait de lancer de nouveaux projets, n’est pas encore connu. Nous en aurons bientôt besoin, même si nous pouvons encore faire avancer les projets actuels ces prochaines années. Car les nouveaux projets nécessiteront également un certain temps de préparation.
A quoi devrait ressembler le futur système de rétribution de l’énergie éolienne afin que de nouveaux projets puissent voir le jour ?
A notre avis, il devrait s’agir à nouveau d’un système de rétribution de l’injection. L’énergie éolienne fournit les deux tiers de sa production au cours du semestre d’hiver, lorsque le photovoltaïque et l’hydroélectricité fournissent moins et que la consommation est la plus élevée. Donc, si nous voulons construire une capacité de stockage aussi faible que possible, nous avons besoin de beaucoup plus d’énergie éolienne en Suisse. La rémunération devrait tenir compte de la production d’électricité hivernale. Cela est presque impossible avec une rétribution unique, alors qu’un système de rétribution de l’injection le permet. Toutefois, ce système pourrait être conçu de manière à être beaucoup plus axé sur le marché qu’il ne l’est aujourd’hui – par exemple sous la forme d’une prime ou d’une assurance qui soutiendrait les prix tant que les signaux de prix du marché ne seraient pas suffisants. Lorsque les prix du marché augmentent, comme cela devrait être le cas lorsqu’il y a une demande d’énergie, la prime pourrait être réduite. Aujourd’hui, les recettes de rétribution de l’injection peuvent être relativement facilement calculées. Il est certainement possible d’axer davantage cette démarche sur le marché.
Un bonus supplémentaire pour l’électricité produite en hiver pourrait-il être intéressant pour l’énergie éolienne ?
Tout à fait. Il existe des modèles très différents. Un bonus pour la production d’électricité hivernale en serait un.
Les systèmes de rémunération sont une affaire politique. Comment votre association fait-elle progresser l’énergie
éolienne ?
Nous veillons à ce que les nouveaux projets éoliens soient de haute qualité. A cette fin, nous privilégions l’échange intensif d’expériences entre les différents projets et les développeurs de projets. Nous encourageons cela – également au niveau cantonal. L’expérience existante des parcs éoliens devrait être mise à disposition et intégrée dans les nouveaux projets. En outre, nous avons récemment remarqué que les opposants aux projets éoliens sont de mieux en mieux organisés, en réseau et de manière professionnelle. Par conséquent, les discussions politiques deviennent également plus intenses dans les communes où les projets sont déposés. Les opposants à l’énergie éolienne tentent de déstabiliser les populations locales, ce qui est plus facile que de leur donner confiance dans une technologie. C’est pourquoi nous nous efforçons de fournir des informations de qualité pour alimenter les discussions. Nous montrons ce que l’on peut attendre d’un projet et non ce qu’il faut en craindre, même si c’est ce que les opposons mettent évidemment en avant.
Vous êtes donc très actifs localement ?
La volonté politique exprimée dans la Stratégie énergétique 2050 est que les décisions relatives à l’énergie éolienne se prennent au niveau local. Dans le cas de nouveaux projets, une assemblée communale de 30 à 40 personnes se prononce sur un projet qui fournit de l’électricité à 10 000 ménages et plus. C’est un défi, car la décision relative à ces installations est entre les mains de ces quelques personnes, alors que les avantages profitent à toute la Suisse. Ces assemblées communales jouent donc un rôle important dans l’approvisionnement énergétique durable et pérenne de la Suisse. Par conséquent, ils ont également une responsabilité. Jusqu’à présent, nous avons fait un bon travail d’information. La plupart des votes dans les communes ont été en faveur de l’énergie éolienne.
Si l’on se projette dans l’avenir : combien d’éoliennes seront construites en Suisse ces prochaines années ?
Nous aimerions avoir une première vague de 100 éoliennes d’ici 2025, mais nous devons faire preuve de patience car les procédures sont longues. Pour l’avenir, nous espérons que l’énergie éolienne se fasse sa place et que les procédures soient plus rapides. L’objectif à long terme, d’ici 2050, est de produire 6 TWh d’électricité par an grâce à l’énergie éolienne. Avec le développement des technologies, nous pourrions même atteindre 9 TWh. Cela
équivaut à 15 % de la consommation actuelle d’électricité. Et nous aurons besoin de cette électricité pour
remplacer les énergies fossiles.