Les débats de politique énergétique semblent pour l’instant suivre deux pistes. Tandis que les uns font beaucoup de bruit et recherchent les fautifs d’éventuelles pénuries de l’hiver prochain, les autres discutent comment accélérer le développement des énergies renouvelables et l’abandon des combustibles fossiles, avec le charivari habituel. Malgré l’urgence évidente, aucune accélération n’est en vue pour relever les défis de la politique énergétique.
Texte : Beat Kohler
Trois questions à
Delphine Klopfenstein Broggini,
Conseillère nationale, Les Vert.e.s,
Membre du comité fédéral de la SSES
Comment la pénurie d’électricité qui s’annonce et la guerre en Ukraine modifient-elles le débat
La guerre en Ukraine met en lumière la dépendance problématique de la Suisse vis-à-vis du pétrole et du gaz. Il faut maintenant accélérer le tournant énergétique, c’est la seule issue. La souveraineté énergétique pour assurer les flux et contrôler les prix, que nous prônons depuis des dizaines d’années fait sens plus que jamais. Si la fragilité de notre dépendance aux énergies fossiles est clairement visible aujourd’hui (et une majorité des partis s’accordent à le dire), les solutions dans l’urgence peuvent être très dangereuses. C’est notamment le retour du débat sur le nucléaire que l’on croyait enterré, ou des projets de nouvelles centrales à gaz qui nous maintiendraient dans la dépendance à long terme. La peur amène souvent de mauvaises réponses et certains partis en font malheureusement leur force.
Le rythme est-il suffisant compte tenu de l’urgence des problèmes
Le rythme est beaucoup trop lent alors que le tournant énergétique est à portée de main grâce à des solutions existantes et qui ont déjà fait leurs preuves. Par exemple la consommation supplémentaire d’électricité due à la mobilité électrique et aux pompes à chaleur pourrait être couverte grâce à un développement massif du photovoltaïque. Parallèlement, la Confédération doit prendre des mesures pour réduire la consommation d’énergie car le potentiel est énorme, mais la volonté politique de la majorité fait défaut. On le sait, le kWh le moins cher et le plus écologique est celui qui n’est pas consommé. La sécurité d’approvisionnement ne signifie pas produire toujours plus, mais lutter contre le gaspillage d’énergie. Malheureusement nous avons pris un retard considérable dans le développement des énergies renouvelables. Il faudrait aujourd’hui urgemment davantage de moyens financiers, davantage de professionnel-le-s formé-e-s et une simplification des procédures d’autorisation. C’est à portée de main, il suffit du soutien politique.
Y a-t-il des aspects du débat sur l’énergie qui sont en train de devenir majoritaires
Le développement des énergiques renouvelables n’est plus contesté en général, en particulier le solaire, l’énergie qui a le plus grand potentiel et certainement le meilleur accueil notamment en comparaison à l’éolien. Mais il manque de soutien fort. Nous avons voté en juin dernier le principe d’équiper de panneaux solaires les infrastructures, c’est une victoire d’étape. Le principe d’équiper tous les toits existants et à venir est en débat, mais il y a une certaine ouverture. La discussion actuelle est davantage autour du solaire alpin, qui doit encore faire ses preuves, en particulier en lien avec la protection de la biodiversité. Le nucléaire revient par la petite porte, mais n’obtient pas de majorité aujourd’hui même s’il pollue beaucoup de débats publics. Les économies d’énergie (efficacité mais aussi sobriété ) restent les parents pauvres du débat, alors que le potentiel est énorme. Nous ne réussirons pas la transition énergétique sans diminuer notre consommation et changer certains modes de vie.
La crainte que l’énergie ne soit bientôt plus disponible en quantité suffisante, même dans la riche Suisse, se répand. Une vraie tempête se prépare, alimentée, d’une part, par la guerre russe en Ukraine et, d’autre part, par les signes évidents du changement climatique, qui sont désormais perceptibles et visibles de tout le monde. Deux exemples : en raison du faible niveau des eaux, le pétrole n’a plus pu être acheminé en Suisse par le Rhin dans les mêmes proportions et la centrale nucléaire de Beznau a dû réduire sa puissance, car l’eau de refroidissement réchauffait trop l’Aar. Le monde politique s’est donc alarmé de la situation. Certes, l’énergie est un sujet récurrent depuis des années et de nouvelles réformes et adaptations législatives sont régulièrement discutées. Actuellement, le Parlement se penche sur l’« Acte modificateur unique », la révision de la loi sur l’approvisionnement en électricité et la loi sur l’énergie, qui n’est toutefois pas encore très ambitieuse. Bien que les problèmes et les dépendances soient bien connus – la Suisse couvre les deux tiers de ses besoins énergétiques totaux avec des agents énergétiques fossiles importés –, trop peu de choses ont changé jusqu’ici. Au cours des deux dernières décennies, la Suisse a dépensé chaque année près de 10 milliards de francs pour importer des énergies fossiles et n’a pratiquement rien investi dans son propre parc de centrales électriques. Bien que notre pays dépende toujours notamment du gaz et du pétrole russes, nombreux sont ceux qui sont surpris par la menace de pénurie énergétique. Ainsi, ceux qui, depuis des années, retardent le développement des énergies renouvelables, exigent maintenant un général de l’électricité et beaucoup d’argent pour que la Suisse puisse continuer à fonctionner sur la base d’énergies fossiles.
Déjà en crise pour l’hiver
Mi-juillet, les spécialistes de la Confédération, de la Commission fédérale de l’électricité (ElCom) et des secteurs de l’électricité et du gaz ont informé le public des mesures à court terme visant à renforcer la sécurité d’approvisionnement. L’énergie hydraulique joue un rôle central dans l’approvisionnement en électricité. « Le niveau de remplissage des lacs d’accumulation est actuellement proche de la moyenne pluriannuelle », a déclaré Urs Meister, directeur de l’ElCom, aux médias. Cela signifie qu’au 1er juillet, les lacs étaient remplis à 59 %. Afin que cette eau soit également disponible en hiver, l’ElCom élabore des valeurs de référence pour la réserve hivernale. Les exploitants des centrales à accumulation doivent retenir, contre rémunération, une certaine quantité d’énergie qui ne pourra être utilisée qu’en cas de besoin. Selon M. Meister, l’ordonnance correspondante devrait être finalisée début septembre. L’ElCom table sur une réserve de 500 GWh. Cela devrait aider à stabiliser le réseau en cas d’urgence vers la fin de l’hiver, mais n’approvisionnera pas la Suisse longtemps. Car cette réserve représente moins de 1 % de la consommation annuelle totale de la Suisse en 2021. « Cette réserve de force hydraulique n’apporte pas d’énergie supplémentaire à l’ensemble du pays », a souligné M. Meister. La réserve ne permet pas de pallier une pénurie générale. C’est pourquoi Michael Frank, directeur de l’Association faîtière de la branche suisse de l’électricité (AES), a souligné que le risque de pénurie d’électricité était grand et a lancé des appels qui auraient été difficilement imaginables il y a seulement quelques années : « Nous devons tous contribuer dès maintenant en consommant moins d’électricité et de gaz à court terme – chaque kWh compte, non seulement celui qui est produit, mais aussi et surtout celui qui est économisé ! » Ne rien faire n’est pas une option. Si les mesures volontaires d’économie ne suffisent plus, la Confédération devrait prendre d’autres mesures pour limiter la consommation. « Les applications non vitales et à forte consommation d’énergie ne devraient alors plus être utilisées », ajoute M. Frank. Il pourrait s’agir des éclairages des vitrines ou de Noël, mais aussi des téléskis. A l’étape suivante, les gros consommateurs pourraient également être contraints de faire des économies. « En dernier recours, le Conseil fédéral ordonnerait des coupures d’électricité », a expliqué M. Frank. L’électricité ne serait plus disponible que selon un horaire préétabli. Toutes les mesures – y compris celles concernant l’approvisionnement en gaz – doivent permettre de faire face à la situation exceptionnelle de l’hiver prochain en raison de la guerre en Ukraine. Mais dans un proche avenir, nous serons de toute façon obligés de réduire notre dépendance du pétrole et du gaz et de recourir plus largement aux énergies renouvelables indigènes. C’est la seule façon pour la Suisse de devenir plus indépendante à long terme et de lutter contre la crise climatique.
Malgré tout, toujours et encore à petits pas
Trois questions à
Jürg Grossen, conseiller national, président du parti vert’libéral suisse, président de Swissolar
En quoi la pénurie d’électricité qui se profile et la guerre en Ukraine modifient-elles le débat
Le débat s’est intensifié. Enfin, en raison de la hausse des prix de l’énergie, l’attention se porte sur les mesures d’amélioration de l’efficacité énergétique dans le domaine de l’électricité et du chauffage, ainsi que sur les commandes intelligentes destinées à augmenter la part de l’électricité produite et consommée directement sur place. C’est là que je vois le plus grand levier pour réagir à court terme.
Le rythme des adaptations est-il suffisant compte tenu de l’urgence des problèmes
Le rythme est trop lent. Le fait que la plupart des cantons se soient endormis pendant au moins cinq ans à propos de la mise en œuvre du MoPEC se retourne contre eux. Le rythme ne peut être que modérément accéléré en ce qui concerne le développement des énergies renouvelables et le remplacement des installations de chauffage, compte tenu des délais de livraison et des ressources limitées en personnel. Néanmoins, nous devons tout mettre en œuvre pour accélérer la cadence. Il est possible d’aller plus vite dans le domaine de l’efficacité énergétique et des commandes et régulations d’installations. Ici, même des solutions relativement rudimentaires permettent d’obtenir de bons résultats. Chaque kilowattheure non consommé vaut de l’or, car il n’a pas besoin d’être produit, transporté, ni stocké temporairement.
Avec l’évolution de la situation, y a-t-il des aspects du débat sur l’énergie susceptibles d’être approuvés par une majorité
Les contributions d’encouragement sont désormais mieux acceptées politiquement, comme le montre par exemple le contre-projet indirect à l’Initiative sur les glaciers. De plus, le Parlement est de plus en plus conscient des possibilités d’amélioration de l’efficacité énergétique. Toutefois, le travail parlementaire reste très lent et compliqué, par exemple en ce qui concerne l’« cte modificateur unique . Celui-ci est bloqué déjà depuis plus d’un an au Conseil des Etats, bien que les possibilités améliorées qu’il contient en faveur de solutions à l’échelle du quartier soient, à mon avis, celles qui permettent d’obtenir les meilleurs résultats.
Il est bien connu que le passage aux énergies renouvelables offre de nombreuses opportunités à la Suisse. Non seulement la sécurité d’approvisionnement s’améliore, mais la création de valeur en Suisse s’accroît également. Différentes études l’ont montré. Il est également clair que le photovoltaïque jouera un rôle de premier plan dans cette évolution. Pourtant, le législateur reste hésitant et avance à petits pas en ce qui concerne la promotion du photovoltaïque. L’une de ces étapes a été l’adaptation de l’ordonnance sur l’aménagement du territoire (OAT), qui est entrée en vigueur le 1er juillet. Elle devrait permettre notamment d’utiliser à l’avenir pour le photovoltaïque les infrastructures conçues pour durer, telles que les parois antibruit, les toitures de parking ou les talus des autoroutes et des voies ferrées. La nouvelle OAT contient pour la première fois la possibilité de mettre en œuvre des projets photovoltaïques de grande envergure en dehors des zones à bâtir. Pourtant, les installations photovoltaïques alpines installées dans des espaces vierges pour la production d’électricité en hiver attendront encore longtemps, car d’importants obstacles en matière d’aménagement du territoire subsistent. Des obstacles existent également ailleurs. C’est ce qui ressort de la consultation sur les ordonnances en rapport avec l’initiative parlementaire Girod. Une fois de plus, il s’agit de créer de nouvelles procédures qui n’apporteront pas vraiment de valeur ajoutée. Cela entraînera des coûts supplémentaires pour la Confédération et ralentira la transition énergétique. Pour les non-initiés, la jungle des réglementations devient de plus en plus impénétrable. L’ordonnance sur l’encouragement de la production d’électricité issue d’énergies renouvelables (OEneR) en est un bon exemple. De plus en plus d’exceptions sont introduites et des subventions sont accordées même quand le rapport coût/bénéfice est loin d’être idéal. Cela entraînera des coûts supplémentaires qui freineront la réalisation d’installations photovoltaïques, craint la SSES dans sa prise de position sur l’ordonnance (voir également Flash en page 28). La Fondation suisse de l’énergie porte un jugement similaire sur les adaptations. Le photovoltaïque reçoit le moins d’argent par kilowattheure supplémentaire produit. D’autre part, la coûteuse promotion de l’énergie hydraulique sans composante hivernale mobilise trop de moyens. Les deux associations critiquent également les nouvelles enchères pour les installations photovoltaïques d’une puissance supérieure à 150 kW. Tous les grands projets PV sont en concurrence pour l’attribution d’une rétribution unique et le prix de l’offre est le seul critère d’adjudication. Ainsi, d’une manière réaliste, seuls certains grands projets pourront bénéficier d’un soutien financier, tandis que les petits projets ne recevront de fait plus aucune aide. Ceci est d’autant plus choquant que les grandes installations sont déjà rentables. De plus, les installations sur des bâtiments existants n’obtiendront plus guère d’adjudication, car la pose d’une installation photovoltaïque à l’occasion de la rénovation d’un toit ne pourra commencer qu’à la réception de l’adjudication, à la clôture des enchères. Ce ne sont là que quelques-unes des critiques qui montrent que, malgré la nécessité urgente de développer le photovoltaïque, les procédures deviennent plus longues et le subventionnement plus compliqué. Pour y remédier, le groupe spécialisé VESE de la SSES a lancé dans la discussion le modèle « Fixe et flex » : pour son installation, le propriétaire aurait le choix de s’exposer au marché ou de bénéficier d’un prix de vente du kWh fixe, uniforme et stable à long terme.
Le prochain combat a déjà commencé
En ce qui concerne l’orientation à long terme et les grandes lignes de la politique énergétique, peu de choses se sont passées depuis l’approbation de la Stratégie énergétique 2050. Quant à la loi sur le CO2, le blocage politique continue. Le Conseil national a tout de même adopté en juin le contre-projet indirect à l’Initiative sur les glaciers. Cette initiative exige qu’à partir de 2050, la Suisse n’émette pas plus de gaz à effet de serre que ce que les réservoirs naturels et techniques de CO2 peuvent absorber. Le contre-projet indirect reprend une exigence essentielle de l’initiative en fixant cet objectif « net zéro » pour 2050. Il n’interdit toutefois pas explicitement les énergies fossiles. En outre, le projet fixe des objectifs nationaux intermédiaires de réduction des émissions d’ici 2050 et établit des valeurs indicatives pour la réduction des émissions dans les différents secteurs. Comme l’écrit Marcel Hänggi de l’Association suisse pour la protection du climat, qui a lancé l’Initiative des glaciers, le contre-projet indirect de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie (CEATE) du Conseil national est meilleur que prévu. Mais la proposition ne doit pas être affaiblie au cours des débats qui vont suivre, bien au contraire. M. Hänggi voit un avantage dans le fait que le contre-projet contient déjà des mesures concrètes. Ainsi, les entreprises devraient réduire leurs émissions à « net zéro » d’ici 2050. Les entreprises qui adoptent une feuille de route « net zéro » bénéficieraient d’un soutien technique de la part de la Confédération et pourraient profiter d’un montant total de 1,2 milliard de francs destiné à promouvoir des technologies et des procédés innovants. « Nous pensons que l’idée des feuilles de route ‹ net zéro › a tout ce qu’il faut pour induire des changements structurels », a déclaré M. Hänggi. En outre, 200 millions de francs par an devraient être alloués pendant dix ans à un programme de remplacement des chauffages à combustible fossile dans les bâtiments. Enfin, la Confédération devrait prendre des mesures pour orienter les flux financiers de manière compatible avec le climat. Malgré la situation politique et climatique actuelle, les débats consacrés au contre-projet ne seront pas faciles. Le Conseil fédéral a déjà déclaré qu’il n’était pas favorable à un soutien financier aux entreprises, car la Confédération n’en a pas les moyens. Le bras de fer a donc déjà commencé et, si l’on se réfère aux dernières années, il ne faut pas s’attendre à ce que des mesures efficaces soient rapidement envisagées, malgré le changement de contexte. Le monde politique ne réagira que si, lors de futures votations, des majorités stables se prononcent non seulement en faveur du principe de la protection du climat et de la transition énergétique, mais soutiennent également des mesures concrètes. Toujours est-il que dans le canton de Berne, l’article de la constitution cantonale sur la protection du climat a été très largement approuvé. Dans le canton de Zurich, le soutien à un article plus efficace sur la protection du climat a été encore plus clair. Pour le moins, ces signes peuvent être considérés comme positifs en vue du grand débat national qui, outre l’Initiative sur les glaciers, concernera également la nouvelle loi sur le CO2.
www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20210047