Voici à quoi devrait ressembler un jour l’installation sur l’alpage de Morgeten dans le Simmental. Ce projet est le seul à avoir obtenu une autorisation en première instance. Huit autres projets ont été mis à l’enquête publique.
Le «Solarexpress» prend du tard
Texte: Beat Kohler
Il y a deux ans, la crainte d’une pénurie d’électricité en hiver était grande. Le président de la Commission fédérale de l’électricité estimait alors qu’il n’était pas exclu que l’électricité soit coupée pendant quelques heures en hiver en Suisse. Il a même conseillé de se munir de bougies et de bois de chauffage. Au Parlement, on s’est également penché sur la question d’une pénurie d’électricité en hiver. Il en est notamment résulté la loi dite « Solarexpress », que le Parlement a adoptée en septembre 2022. Avec cette loi, la Confédération encourage jusqu’à fin 2025 la construction d’installations photovoltaïques alpines afin d’augmenter la production nationale d’électricité en hiver. Pour que les installations puissent bénéficier de cette aide, dix pour cent de leur puissance doivent être raccordés au réseau après un an et demi au plus tard. Jusqu’à présent, un seul projet a été approuvé en première instance et rien n’a encore été construit.
Seule une autorisation a été délivrée
Pour contredire l’image stéréotypée des Bernois lents, c’est un projet du canton de Berne qui a été le plus rapide. Dans un communiqué, les autorités ont déclaré que la préfète de Frutigen-Niedersimmental autorisait, par un permis de construire délivré le 3 mai 2024, la grande installation photovoltaïque alpine sur l’alpage de Morgeten à Oberwil dans le Simmental. Les quatre oppositions déposées contre la demande de permis de construire par les associations de protection de l’environnement n’ont pas été suivies d’effet après leur examen approfondi et la réception des rapports cantonaux spécialisés et officiels ainsi que de l’étude d’impact sur l’environnement. Au moment de la clôture rédactionnelle, on ne savait pas encore si les oppositions seraient maintenues. Ainsi, le projet mené conjointement par la coopérative Morgetenberg, Thuner Solar AG et Energie Thun AG au sein de Morgeten Solar AG pourrait être le premier à pouvoir être construit. Avec une production annuelle attendue de 12 GWh, l’installation devrait à l’avenir fournir de l’énergie renouvelable à quelque 3000 ménages. « La menace de recours serait très regrettable, d’autant plus que le projet a fait l’objet d’une étude d’impact environnemental complète » explique Morgeten Solar AG.
Joute oratoire avec les défenseurs du paysage
Raimund Rodewald, directeur de la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage jusqu’à début novembre 2024, s’est positionné comme l’un des plus grands opposants aux installations solaires alpines. Dans le Tagesanzeiger, il a critiqué le fait que les paysages alpins se retrouvent désormais dans la ligne de mire d’investisseurs « qui se sont libérés de toute honte ». Le paysage serait le grand perdant. « Le Solarexpress doit se dérouler en milieu urbain sur les toits et les façades, au-dessus des abris de voitures et des autoroutes, mais pas sur les prairies alpines isolées », explique Raimund Rodewald. « Si l’Unesco a inscrit la saison d’alpage sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, elle ne parle certainement pas de pâture au milieu d’une forêt de poteaux de modules PV ». Lors d’un débat retranscrit dans les journaux Tamedia, Christian Haueter, l’initiateur de l’installation solaire alpine sur l’alpage de Morgeten, a répondu à ces critiques. Il est agriculteur et fermier de la coopérative d’alpage de Morgeten. « La raison de la planification de l’installation n’est pas l’appât du gain, comme l’affirme Raimund Rodewald, mais la lutte très concrète contre le changement climatique, qui provoque des coupures de courant dans la petite centrale hydroélectrique existante sur l’alpage en raison du manque d’eau. Ce qui est sûr, c’est que le changement climatique et la fonte des glaciers détruiront le paysage alpin de manière plus durable que notre installation solaire alpine. Utiliser d’une part l’espace alpin comme bien esthétique de consommation de loisirs pour la population urbaine et, d’autre part, reléguer l’économie alpestre traditionnelle et les défenseurs de la biodiversité au rang d’habitants de réserves du patrimoine culturel immatériel de l’humanité – n’est juste pas possible ! », a argumenté Christian Haueter dans sa réponse.
Différents éléments qui mènent à l’échec
Contrairement à l’exemple d’Oberwil, plusieurs projets ont échoué avant même le dépôt de la demande de permis de construire en raison de l’opposition des propriétaires fonciers ou de la population. Là aussi, les considérations évoquées par Raimund Rodewald ont joué un rôle dans de nombreux cas. Il ne faut pas que le paysage souffre de l’extension du solaire, même s’il est déjà fortement pollué par des remontées mécaniques, des routes ou des pylônes électriques. L’origine des investisseurs joue également un rôle. Lors de l’assemblée communale du 29 janvier 2024, la commune de Surses a refusé la construction de la grande installation solaire alpine Nandro-Solar. Le fait que l’investisseur soit l’EWZ de Zurich a joué un rôle essentiel dans les débats. Malgré l’accord du propriétaire du terrain, la commune agricole de Hasliberg, les électeurs de Hasliberg ont refusé, lors de l’assemblée communale du 31 janvier 2024, d’approuver la construction d’une installation solaire près du domaine skiable de Meiringen-Hasliberg. Entre autres, en indiquant qu’ils ne voulaient pas d’investisseurs de la ville de Bâle à la montagne. Il semble important pour l’acceptation par la population qu’une entreprise électrique locale fasse partie de l’organisme responsable. Ainsi, l’assemblée communale d’Adelboden a approuvé une installation solaire alpine dans la région de Schwandfäl. Cette installation de dix hectares devrait fournir environ 40 % de l’électricité hivernale de la commune. Outre BKW en tant qu’investisseur externe, c’est surtout la société Licht- und Wasserwerk Adelboden AG qui est à la tête du projet. Mais aucune demande de permis de construire n’a encore été déposée pour ce projet. Comme Christian Haueter à Oberwil dans le Simmental, d’autres promoteurs ont manifestement réussi à convaincre la population locale et les propriétaires fonciers, que ce soit pour des projets en Valais ou surtout dans le canton des Grisons. Par exemple, les électeurs de Davos se sont prononcés à 75,5 % en faveur de la construction d’une installation solaire de haute altitude dans la région de Parsenn. Et le projet Gondosolar a lui aussi franchi une nouvelle étape dans le processus d’autorisation cantonale pour la construction de l’installation photovoltaïque alpine au-dessus de Gondo : les promoteurs du projet ont été les premiers à déposer le dossier avec la demande de permis de construire le 20 décembre 2023 dans le canton du Valais. Dans l’idéal, le permis de construire devrait être délivré d’ici fin juin 2024.
Les objectifs ne sont pas atteints
Le Solarexpress continue donc d’avancer, même si c’est beaucoup plus lentement que ne l’avaient imaginé ses créateurs. Parmi les dizaines de projets qui ont vu le jour immédiatement après la décision du Parlement, l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) en recense actuellement neuf qui ont déjà été mis à l’enquête publique. Avec une production annuelle de 182 GWh, ces projets n’atteignent même pas un dixième de la production annuelle de 2 TWh visée par le Parlement. Il est en outre intéressant de constater que l’OFEN ne dresse pas la liste des projets qui ont échoué, comme ceux qui ont été largement mis en lumière par les médias au cours des six derniers mois. Selon l’OFEN, les données se basent sur les annonces faites par les cantons, qui ne transmettent évidemment pas les projets qui ont déjà échoué localement dans les urnes. Sans trop s’avancer, on peut d’ores et déjà affirmer que d’ici la fin de l’année 2025, une poignée de projets tout au plus atteindront les 10% nécessaires pour bénéficier du soutien du Solarexpress.
Secondes tentatives
Mais comment cela va-t-il évoluer ? La pénurie d’électricité annoncée n’a pas eu lieu. Ces deux dernières années, le développement du photovoltaïque sur les bâtiments a été massif, ce qui a également permis d’augmenter la part de ces installations en hiver. Mais c’est surtout grâce aux températures clémentes et aux efforts déployés dans les pays voisins qu’il a même été possible d’exporter de l’électricité cet hiver. Les interventions politiques en faveur d’une nouvelle édition ou d’une prolongation du Solarexpress risquent donc d’avoir du mal à aboutir. Certains projets tentent de redémarrer après avoir échoué localement dans les urnes. Par exemple, le projet Solsarine à Saanen. Sous la forme d’une initiative communale, le projet, qui a été clairement rejeté par l’assemblée communale le 8 décembre 2023, devrait être remis sur le tapis, quelque peu redimensionné. Désormais, les installations seront exclusivement situées sur des terrains privés. L’initiative est soutenue par l’ancien conseiller national UDC Erich von Siebenthal. Pour que l’initiative ait une chance d’aboutir, il devra s’imposer sur place, surtout face à ses collègues de parti. Dans le « Berner Oberländer », le conseiller communal UDC Martin Hefti a exprimé de sérieux doutes quant à l’initiative : « Pour moi, la volonté du peuple est primordiale. Et le premier projet a été très clairement rejeté ». Mais un comité composé de représentants locaux de la politique cantonale et nationale veut quand même aider Solsarine à percer. L’installation « SolSarine 2.0 » devrait atteindre à terme une surface totale d’environ 35 hectares et produire chaque année quelque 50 GWh d’électricité solaire. « Il s’agit d’un compromis dont la Suisse est habituée. Nous avons besoin dans le Saanenland d’une source qui fournisse de l’électricité en hiver », a déclaré Erich von Siebenthal au “Berner Oberländer”. Comme lors de la première tentative, les remontées mécaniques de Gstaad restent un moteur important dans ce projet, car elles souhaitent consommer l’électricité directement sur place afin d’économiser de l’argent. L’entreprise ne veut toutefois pas développer elle-même le projet, car les moyens financiers font défaut. Les initiateurs souhaitent donc réunir les fonds par le biais d’une participation citoyenne et d’un financement bancaire. L’avenir montrera rapidement si cet ancrage local du projet est plus efficace, si la construction doit avoir lieu avant fin 2025.
Le Conseil fédéral pourrait modifier l’ordonnance
En raison des nombreux projets rejetés ou mis en veilleuse, le monde politique s’active également. Notamment la conseillère nationale PS et vice-présidente de Swissolar Gabriela Suter. Dans une interpellation, elle a voulu savoir si le Conseil fédéral avait la possibilité de prolonger par voie d’ordonnance le délai fixé à fin 2025. « Il s’avère que ce délai est très court », a expliqué Gabriela Suter pour justifier son interpellation. Le 22 mai, l’OFEN a écrit qu’il avait connaissance d’une quarantaine de projets en cours de planification. Outre les neuf projets mis à l’enquête, 16 autres ont reçu l’accord des communes d’implantation. « Une demande de permis de construire devrait être déposée dans les prochains mois », précise l’OFEN, qui ne veut toutefois pas se prononcer sur les chances de réalisation des différents projets. Le Conseil fédéral ignore pourquoi certains projets ont été abandonnés : « Les raisons peuvent être liées aux caractéristiques du site (dangers naturels, manque d’ensoleillement, nature du terrain inadaptée, manque de capacité de raccordement au réseau) ou à l’absence d’accord du propriétaire foncier ou de la commune. À la connaissance de l’OFEN, dix projets ont été refusés par les communes. », peut-on lire dans la réponse à l’interpellation de Gabriela Suter. Pour l’OFEN, il est cependant très clair qu’une prolongation du délai par voie d’ordonnance n’entre pas en ligne de compte. Une prolongation du délai devrait être décidée au niveau législatif. Or, le Conseil national s’est prononcé contre cette prolongation lors de la session d’hiver 2023 dans le cadre des délibérations sur le « projet de loi pour l’accélération des procédures ». Le Conseil fédéral laisse toutefois une échappatoire ouverte, à savoir s’il s’agit de poursuivre des conditions de promotion aussi avantageuses que possible pour les installations photovoltaïques alpines. Le cas échéant, une modification de l’ordonnance pourrait permettre aux installations de bénéficier de la promotion, même si 10 % ne sont pas raccordés au réseau d’ici fin 2025, « à condition qu’une demande ait été mise à l’enquête publique avant fin 2025 ».
En outre, le Conseil fédéral indique que lors de l’entrée en vigueur de la loi fédérale relative à un approvisionnement en électricité sûr reposant sur des énergies renouvelables, qui a été adoptée le 9 juin, les installations photovoltaïques d’une certaine taille continueront à bénéficier de conditions de planification facilitées. Pour cela, il est impératif que ces installations soient construites dans une zone appropriée, définie par les cantons dans leur plan directeur. Les conditions de soutien pour ces installations seront précisées en temps voulu dans l’ordonnance sur l’encouragement de la production d’électricité issue d’énergies renouvelables. Les discussions sur les installations solaires alpines devraient donc se poursuivre, même si l’Express s’est transformé en train régional.