
Ses déclarations sur l’injection d’électricité solaire dans le réseau font toujours sensation : le professeur de photovoltaïque Christof Bucher étudie depuis des années l’injection d’électricité solaire dans le réseau.
Dans cette interview, il explique pourquoi, selon lui, de nouvelles incitations sont nécessaires pour que les exploitants d’installations solaires se comportent de manière à servir le réseau et pourquoi chaque kilowattheure d’électricité solaire produit ne pourra pas être systématiquement injecté dans le réseau à l’avenir.
Texte : Beat Kohler
Actuellement, les politiciens se plaignent que le développement du photovoltaïque entraînera une extension très coûteuse du réseau. Vous avez en revanche déclaré que même sans adaptation, il serait déjà possible aujourd’hui d’intégrer beaucoup plus d’électricité solaire. Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion ?
Les gestionnaires de réseau tentent aujourd’hui – jusqu’à la fin de l’année dernière, ils y étaient d’ailleurs contraints par la loi – d’intégrer au réseau la puissance maximale des onduleurs des installations photovoltaïques. Il s’agit en l’occurrence des pointes de puissance produites par très beau temps, sans tenir compte de l’autoconsommation. De mon point de vue, ce dimensionnement est erroné. Le réseau et les raccordements au réseau ne doivent pas être conçus en fonction de la puissance de pointe. Ils doivent intégrer une quantité raisonnable d’énergie des installations photovoltaïques dans le réseau. Il serait alors possible de raccorder au réseau bien plus d’installations que ce n’est le cas aujourd’hui.
Qu’est-ce qu’une quantité d’énergie raisonnable ? Par exemple, pour ma propre installation d’une puissance nominale de 10 kW, 60 % est installé sur le pan est et 40 % sur le pan ouest du toit. Dois-je aller voir mon gestionnaire de réseau et lui dire que je n’ai plus besoin des 10 kW de puissance connectée ?
Si vous regardez votre production, vous constaterez que votre installation ne dépasse que très rarement 6 kW de puissance effective et qu’elle alimente le réseau. Si vous disiez à votre gestionnaire de réseau que vous n’injectez jamais plus de 6 kW, il pourrait prendre en compte le raccordement différemment qu’il ne le fait aujourd’hui. Vous n’y perdriez rien. Une injection possible de 60 % soulagerait toutefois le réseau d’autant.
Mais que pouvons-nous gagner avec de telles mesures ? Les premiers exploitants de réseau – en particulier la coopérative Elektra Jegenstorf – vont déjà dans cette direction.
Oui, le produit Top-40 d’Elektra a déjà été copié plusieurs fois. En principe, il est possible de raccorder nettement plus d’installations au réseau si la puissance d’injection est réduite. Mais à long terme, l’optimum ne sera pas de 40 % de réduction de puissance, mais plus bas encore. C’est ce que montrera une étude que nous publierons à la mi-mars. Dans cette étude, nous examinons comment les coûts de l’électricité pourraient éventuellement évoluer dans une Suisse [CB1] où 30 GW de photovoltaïque sont installés. Nous avons comparé ces coûts d’électricité avec le profil de production des installations PV. Nous constatons que l’installation photovoltaïque ne produit pas sa valeur lorsque sa puissance est élevée, mais lorsque sa puissance est faible.
Qu’est-ce que cela signifie pour la valeur de l’électricité produite par mon installation ?
Avec 30 GW de photovoltaïque dans notre réseau, il n’y aurait aujourd’hui aucun acheteur pour la puissance de pointe. L’injection dans le réseau doit donc être plus faible. Aujourd’hui, les gestionnaires de réseau suisses n’ont pas les solutions techniques pour imposer cela. Il manque également des signaux de prix ou d’incitation pour inciter les installations à adopter volontairement un comportement respectueux du réseau. Si le prix de l’électricité continue d’être fixé en fonction du prix de revient marginal des centrales, nous constatons qu’au-delà d’environ 40 % de la puissance PV, cette électricité ne génère plus aucune valeur marchande.
Cela ne supprime-t-il pas l’incitation à construire de nouvelles installations, exactement comme le prétendent toujours les détracteurs du photovoltaïque ?
C’est une question de mécanismes de marché ou de soutien. Il est clair qu’avec les prix que donnent nos modèles de calcul, les installations ne peuvent pas être refinancées indépendamment de la limitation de l’injection. Pour être plus ou moins en phase avec le marché, l’électricité dont personne n’a besoin ne doit pas être fortement rémunérée. Dans votre exemple, cela signifierait qu’au-delà d’environ 40 % de la puissance de l’installation, l’injection ne génère aucune valeur économique. Si le réseau est développé à cet effet, il ne s’agit pas d’un investissement durable dans la transition énergétique. Il en va tout autrement lorsque cette électricité peut être utilisée localement pour la pompe à chaleur, l’eau chaude, la mobilité électrique ou l’échange via une RCP. On peut alors s’adapter localement et donner une valeur à l’électricité localement.
Si je veux profiter localement de mes pics de puissance, je ne dois pas limiter l’onduleur à 40 % de sa puissance nominale ?
C’est un point très important ! Je ne veux pas inciter à installer de petits onduleurs. La réduction doit se faire au point de raccordement au réseau. Ce qui se passe en aval du raccordement au réseau, si l’on y alimente un accumulateur à batterie ou si l’on y raccorde des consommateurs supplémentaires, c’est à chacun de décider dans le cadre des conditions locales. Il faut donc un appareil comme un gestionnaire d’autoconsommation, qui est de toute façon installé aujourd’hui sur la plupart des installations. Aujourd’hui déjà, celui-ci n’envoie au réseau que le surplus local. A l’avenir, ce gestionnaire veillera également à ce que l’injection ne dépasse pas ce que le réseau peut supporter. Ce n’est que lorsque cette limite sera dépassée qu’il faudra légèrement réduire la puissance de l’installation photovoltaïque.
Même si les pics ne peuvent pas être injectés, des adaptations du réseau électrique seront nécessaires. A quoi pourraient-elles ressembler ?
Le plus grand changement de paradigme n’aura pas lieu au niveau des câbles de cuivre posés, mais au niveau des raccordements au réseau. On régulera par exemple les installations et les stations de recharge afin qu’elles ne surchargent pas le réseau. C’est une partie essentielle de l’infrastructure du réseau. Il faut des compteurs intelligents qui permettent au gestionnaire de réseau de voir s’il y a un problème. Cela permettrait par exemple de proposer des tarifs variables qui inciteraient à un comportement respectueux du réseau. Il ne faudra plus de câbles que très ponctuellement, là où il y a de très grands toits et en même temps peu de consommation. L’agri-PV ou les installations d’infrastructure peuvent également nécessiter un renforcement ponctuel du réseau. Là où de fortes charges sont déjà raccordées au réseau, la production décentralisée nécessite relativement peu d’extension du réseau. Si les raccordements au réseau sont mis en œuvre de manière à être compatibles avec le réseau, ce ne sont pas les installations photovoltaïques décentralisées qui sont responsables de l’extension du réseau.
L’échange de données avec les compteurs intelligents ne rendra-t-il pas notre réseau plus vulnérable aux attaques des pirates informatiques ?
Nous sommes de toute façon confrontés aux risques liés à la numérisation, indépendamment des compteurs intelligents. Il est important de connaître ces risques et de construire un système fondamentalement robuste. Je suis partisan de ne pas laisser les gestionnaires de réseau libres d’activer ou de désactiver simplement les installations via les compteurs intelligents. Chaque installation solaire doit fonctionner de manière stable et décentralisée. En règle générale, les systèmes de commande supérieurs ne doivent plus créer qu’une incitation – par exemple par le biais du prix. Nous n’avons pas besoin d’un bouton rouge central qui permettrait à toutes les installations PV de se déconnecter du réseau. Ce serait alors effectivement un risque pour la sécurité ! Si nous construisons un système qui permet d’augmenter l’autoconsommation lorsque les prix de l’électricité sont bas et d’augmenter l’injection lorsque les prix sont élevés, cela fonctionne de la même manière qu’aujourd’hui avec les grandes centrales électriques. Dans ce cas, je pense que le risque de perturbations à l’échelle du système est faible.
Avec la croissance du photovoltaïque que nous avons connue ces trois dernières années, quelles sont les prochaines étapes pragmatiques pour intégrer davantage de PV dans le réseau ?
Plusieurs mesures doivent être prises simultanément par plusieurs parties prenantes. Les gestionnaires de réseau doivent mettre en place le plus rapidement possible des incitations pour que les comportements utiles au réseau soient rentables. S’ils n’y parviennent pas, il est certain que rien ne changera. Les premiers gestionnaires de réseau ont déjà mis en place de telles incitations. Du côté des installations, près d’une installation photovoltaïque sur deux est déjà équipée d’un accumulateur de batterie, qui n’est pas encore utilisé aujourd’hui pour servir le réseau. Si cela change, nous aurons déjà débloqué la situation en ce qui concerne l’injection dans le réseau pour une installation PV sur deux. Si les incitations de l’exploitant du réseau sont efficaces, la situation changera également. Ces mesures ne nécessitent aucune adaptation de l’infrastructure et peuvent être mises en œuvre très rapidement et à peu de frais. Les batteries et les systèmes d’autoconsommation sont déjà installés aujourd’hui d’une manière ou d’une autre. C’est une question d’incitations et de logiciels pour utiliser notre infrastructure de manière à ce qu’elle soit utile au réseau.
Le nouveau cadre légal le permet-il ?
Aucun des gestionnaires de réseau qui ont franchi le pas jusqu’à présent n’a été rappelé à l’ordre. Le cadre légal a déjà été donné en grande partie dans l’ancienne loi sur l’électricité. Avec la nouvelle loi sur l’électricité, ils ont explicitement les possibilités nécessaires. Ils peuvent par exemple exiger que les pics ne soient pas injectés dans le réseau. Cela n’était pas possible auparavant. En tout cas, les gestionnaires de réseau peuvent désormais faire le nécessaire.